La découverte des antibiotiques a été une révolution dans la pratique médicale et leur utilisation a permis en chirurgie des avancées considérables dont ont pu bénéficier des mil- lions de patients. Le risque infectieux postopératoire qui est une des complications majeures des gestes chirurgicaux a conduit, dans les années 1980, à mieux définir la place de l’antibioprophylaxie en chirurgie. Deux conférences de consensus, réalisées par la SFAR (Société française d’anes- thésie et de réanimation) en 1992 et 1999, ont proposé des recommandations pratiques pour l’antibioprophylaxie en chirurgie orthopédique et en chirurgie plastique. Ces recom- mandations, qui ont une valeur médicolégale très forte, ne sont cependant pas toutes validées scientifiquement et beau- coup reposent, faute de données disponibles, sur une extra- polation à partir de données validées pour la chirurgie pro- thétique de hanche ou la prise en charge des fractures ouvertes de jambe.
La chirurgie de la main, fille naturelle de l’orthopédie et de la plastique, n’est cependant pas individualisée dans ces conférences de consensus. Or, les complications septiques postopératoires sont beaucoup moins fréquentes en chirurgie de la main et les propositions de la SFAR ne sont peut-être pas adaptées à la pratique quotidienne des chirurgiens de la main. Par ailleurs, l’augmentation inquiétante des résistances bactériennes observées, largement relayée par les médias qui se font l’écho des inquiétudes du public, a conduit les méde- cins à redéfinir l’utilisation optimale des antibiotiques en termes de bénéfices/risques pour l’individu et la société. La Société française de chirurgie de la main, soucieuse d’aider les chirurgiens de la main dans leur pratique professionnelle, se devait de proposer une attitude scientifiquement raisonna- ble de la pratique de l’antibioprophylaxie en chirurgie de la main et c’est ce travail réalisé en 2003 et présenté lors du congrès annuel de décembre 2003 qui fait l’objet de cette publication.
1. Introduction
J.P. Lemerle : Consultant, service de chirurgie orthopédi- que (Pr Doursounian), hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12, France.
L’attitude volontairement restrictive vis-à-vis des antibio- tiques de Raymond Vilain dans les années 1970 amenait tout naturellement le chirurgien à privilégier l’hygiène pré- et peropératoire ainsi que le caractère aussi atraumatique que possible de son geste. Le bien fondé de ces « intuitions » apparaît clairement de nos jours où la relation entre l’infla- tion antibiotique et la résistance des germes est évidente. Mais progressivement la crainte médicolégale, la routine, des opinions personnelles non étayées ont généré une antibiopro- phylaxie volontiers systématique. Il existe bien des proposi- tions consensuelles de codification de l’antibioprophylaxie en orthopédie. Mais, très généralistes, elles ne couvrent pas le domaine très particulier de la chirurgie de la main, sauf par des analogies dont la validité scientifique n’est pas établie. Le but de ce travail est précisément de proposer une attitude
précise dans les situations documentées, de laisser chacun libre de son choix dans celles qui ne le sont pas encore, tout
« en lui fournissant » l’opinion des différents acteurs de la réunion de décembre 2003. Ce travail devra être poursuivi au fur et à mesure des publications sur le sujet, mais déjà il va constituer une référence opposable.
2. Prévalence actuelle des infections postopératoires
J.R. Werther : chirurgien, service de chirurgie orthopédi- que (Pr Doursounian), hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12 et clinique Rémusat, 21, rue de Rémusat,75016 Paris, France.
Il est habituel de dire que les meilleures études se doivent d’être prospectives, randomisées, en double insu. Mais, il faut aussi qu’elles aient un intérêt clinique, c’est-à-dire que le bénéfice démontré statistiquement doit avoir un intérêt : il ne suffit pas d’être « statistiquement significatif », il faut aussi évaluer, de préférence a priori, le bénéfice attendu. Il s’agit notamment de voir combien on doit traiter de patients pour éviter un événement indésirable, cet événement devant en plus être « important ».
On choisit de façon conventionnelle un risque « alpha » (risque de conclure à tort à une différence) de moins de 5 %. Pour que les conclusions d’une étude soient valides, il faut aussi que l’étude soit suffisamment « puissante » ; c’est-à- dire que le risque de ne pas voir une différence qui existe soit par convention de moins de 20 %.
La première phase de conception d’une étude sur l’anti- bioprophylaxie suppose connu le taux d’infection sans anti- biotiques. Ce taux est généralement retrouvé dans la littéra- ture.
Pour la chirurgie de la main, les taux retrouvés dans la littérature sont extrêmement variés (de 0,3 à 15 %) ce qui ne permet pas de choisir un taux de référence qui devrait se retrouver dans le groupe témoin de toutes les études sous peine d’une perte de puissance considérable.
Nous avons donc décidé de déterminer un taux d’infection en chirurgie de la main. Les critères proposés, dans la littéra- ture, dans la définition de l’infection du site opératoire (ISO) sont étonnamment variables. Nous avons décidé de prendre des critères très restrictifs et binaires. Ne seront considérés comme infectés que les patients :
- opérés initialement par un chirurgien de la main qualifié,ce qui à nos yeux garantit une maîtrise du parage et une chirurgie atraumatique. Il ne nous a pas paru souhaitable d’inclure les patients suturés aux urgences, ni fermés en tension sans parage… ;
- hors infection primaire (panaris, phlegmons ou morsu-res) ;
- hors infection consécutive à une nécrose
Nous avons exclu les patients n’ayant pas nécessité de reprise chirurgicale.
Pour obtenir une idée de ce taux d’infection, nous avons réalisé une étude multicentrique rétrospective en faisant ap- pel aux grands centres de chirurgie de la main avec lesquels nous avions des relations proches.
Six centres ont été sollicités, trois ont répondu (Boucicaut/HEGP/Saint-Antoine : Dr Werther ; Urgences Mains Val-de-Seine : Dr Barbato, et SOS Mains Nantes : Dr Chaise), ces trois centres ne pratiquent aucune antibiopro- phylaxie. Vingt-deux mille (22 000) patients ont été inclus dans cette étude et il y a eu au total 21 reprises pour infec- tions, soit un taux de 1 ‰.
À partir de ces données, on peut calculer de façon préala- ble le nombre de patients nécessaires pour démontrer un bénéfice à l’antibioprophylaxie. Une étude qui rechercherait comme bénéfice une diminution de 50 % de ce taux d’infec- tion, avec une puissance de 80 %, demanderait ainsi l’inclu- sion de 91 000 patients.
1.1 Commentaires
Le taux retrouvé dans cette étude est inférieur à celui de la littérature de façon générale. Il est très probablement sous- estimé : quelques reprises ont probablement été « oubliées », quelques patients ont pu changer de centre, et c’est une habitude fréquente des chirurgiens de moins reprendre leurs propres patients pour une suspicion d’infection.
Cela étant, en faveur de la valeur de ce travail, il faut noter :
- que le taux observé est remarquablement constant sur les trois sites ;
- que dans les études publiées, le taux de reprise pour infection, quand il est signalé, est inférieur à 1 %, donc assez proche du taux observé.
Une des études bien faite de la littérature retrouve un taux d’infection du site opératoire (ISO) de l’ordre de 15 %. Ce chiffre, très élevé, n’est retrouvé dans aucune des autres études des infections du site opératoire dans la littérature. Cette étude permet plusieurs lectures :
- si on part de l’idée qu’elle est exacte, les calculs que
nous venons de faire montrent qu’il ne faut plus 91 000 patients dans une étude prospective visant à diminuer par deux le taux d’ISO, mais 850. Ce chiffre, plus « raisonnable », correspond cependant déjà à une étude de grande envergure avec un coût élevé et cette étude n’a jamais été réalisée jusqu’à présent ;
- on peut se demander dans quelle mesure les statisticiens
consultés dans l’étude citée n’ont pas fait évoluer, en toute bonne foi, les critères de jugement de façon à obtenir une puissance suffisante. Pour pouvoir faire une étude qui a des chances d’obtenir des résultats significa- tifs, même avec un taux d’infection à ce niveau, il faut une définition de l’infection très large, ce qui fait inclure comme infectés des patients qui guérissent sans séquel- les avec des soins locaux (c’est-à-dire, en pratique, qui guérissent tout seul), dans une proportion de 50 pour 1. Or, rien ne permet d’affirmer que le fait de faire baisser le taux d’infections bénignes va faire baisser le taux d’infections graves.
1.2 Faut-il faire une nouvelle enquête prospective ?
Les études statistiques comparent des événements. Il faut qu’un certain nombre d’événements se produisent dans cha-
que groupe (environ 50 pour une baisse de 50 %) pour juger de la signification statistique. Ces études sont différentes des études plus « classiques » qui comparent des moyennes (de douleur, mobilité, force ou un score arbitraire habituel), où chaque patient contribue à la puissance de l’étude.
Dans le cas de l’antibioprophylaxie, les patients qui ne s’infectent pas ne contribuent en rien à l’étude, et ils représen- tent au moins 99 % de l’effectif à inclure. Le nombre de patients traités « pour rien » est à mettre en balance avec les risques de l’antibiothérapie pour le patient et pour la collecti- vité. Une étude sur l’antibioprophylaxie, avec un taux de reprise chirurgicale de 1 ‰ n’aurait pas d’intérêt clinique, car il n’est pas raisonnable de traiter 2000 patients pour éviter une reprise. À titre de comparaison, dans les grandes études car- diovasculaires, on considère comme limite de traiter 100 pa- tients pour éviter un accident vasculaire cérébral majeur …
En pratique, on ne fait jamais d’études prospectives ran- domisées pour des événements dont la fréquence est infé- rieure à 15 %. Une enquête prospective, randomisée, sur l’antibioprophylaxie en chirurgie de la main est donc en pratique, non seulement infaisable techniquement, mais on peut déjà dire qu’elle n’apporterait aucun résultat significatif compte tenu du faible taux de reprise chirurgicale dans notre spécialité.
Références : Bouyer et al. Épidémiologie : principes et méthodes quantitatives, pp. 440–450 ; Éditions Inserm, Paris 1995.
3. Enquête sur la pratique actuelle de l’antibioprophylaxie par les membres de la Société française de chirurgie de la main
- Tchenio : chef de clinique–assistant, service de chirurgie orthopédique (Pr Doursounian), hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12, France.
- Vercoutere : chef de clinique–assistant, service de chirurgie orthopédique (Pr Augereau), hôpital européen Georges-Pompidou, 43, rue Leblanc, 75015 Paris, France.
Le travail a été réalisé pour la préparation de la table-ronde sur les antibiotiques au congrès d’hiver du GEM 2003. Nous avons exclu de ce travail les situations clairement codifiées comme les morsures humaines ou animales où la prescription d’antibiotiques systématique est peu discutée.
- Le questionnaire
Il s’agit d’un questionnaire envoyé à chacun des 291 membres de la société. Il résume les situations cliniques les plus fréquemment rencontrées, que ce soit dans le cadre de la chirurgie d’urgence ou bien de la chirurgie réglée. Il est présenté sous la forme d’un arbre décisionnel.
Les réponses proposées sont volontairement oui ou non, cela afin d’obtenir des réponses claires en vue d’un consen- sus fort. Il nous semblait important que le questionnaire puisse être rempli rapidement ; plusieurs essais auprès des chirurgiens du service nous ont permis de vérifier que le temps de réponse moyen était aux alentours de trois minutes.
Afin d’éviter les relances téléphoniques inutiles, nous avons demandé à chacun de préciser son nom, et nous nous sommes intéressés au type d’exercice, à la recherche de différences de prescriptions entre l’activité libérale ou publi– que.
3.2 Recueil des données
Le recueil des données s’est effectué à la fois par courrier classique mais aussi à travers le site Internet du GEM (http://www.gem-sfcm.org) par la mise en ligne dudit ques- tionnaire, afin de multiplier les possibilités de réponses. Nous avons obtenu 168 réponses, 144 par courrier et 24 de manière électronique. Bien que le taux de réponse par courrier classi- que dans ce travail soit supérieur aux réponses électroniques,
nous pensons qu’Internet est une voie de communication intéressante du fait de la facilité et la rapidité de l’utilisation des données obtenues. Si ce mode de communication rentre dans les mœurs nous devrions, à l’avenir, obtenir des taux de réponses supérieurs.
3.2 Résultats
3.3.1 Comparaison publique–privé
Nous retrouvons un taux de prescription d’antibiotiques supérieur dans les hôpitaux, mais cette différence n’est pas statistiquement significative.
3.3.2 Questionnaire Urgences
3.3.2.1 Parties molles.
En cas d’atteinte exclusive des parties molles, les critères qui influent positivement la prescription sont le caractère souillé initial, l’atteinte d’un organe noble, et le classique délai de prise en charge supérieur ou non à six heures.
3.3.2.2 Fractures fermées.
En cas de fracture fermée, plus d’un tiers des chirurgiens
3.4 Chirurgie réglée des parties molles
Pour la majorité des gestes en chirurgie réglée, l’absten– tion prévaut ; les critères influant principalement sur les prescriptions sont l’inclusion de matériel (prothèses, im- plants…) et la chirurgie de reprise.
3.5 Résumé des facteurs qui influent sur la prescription d’antibiotique au sein de la SFCM
3.6 prescrivent une antibiothérapie ; le taux de prescription est
peu influencé par le type d’ostéosynthèse.
3.3.2.3. Fractures ouvertes.
La fracture ouverte reste pour la majorité des collègues, une indication formelle d’antibiothérapie, quel que soit le délai de prise en charge.
Urgences Chirurgie réglée Souillure Geste osseux et/ou articulaire Délai de prise en charge > 6–8 heures Chirurgie de reprise
Atteinte d’éléments nobles Pose d’implant Atteinte osseuse et-ou articulaire
Ouverture cutanée pour les lésions osseuses ou articulaires
Inclusions de matériel
4. Méthodologie
C. Dumontier : chirurgien des hôpitaux, professeur asso- cié au collège de médecine des hôpitaux de Paris, service de chirurgie orthopédique (Pr Doursounian), hôpital Saint- Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12 (christian.dumontier@sat.ap-hop-paris.fr) et institut de la Main, 6, square Jouvenet, 75016 Paris (ch.dumontier@gsante.fr).
Le but de cette conférence était de donner aux praticiens des recommandations de bonnes pratiques reposant sur des
données fiables et validées. L’idéal aurait été de faire une conférence de consensus comme le propose l’ANAES. Mal- heureusement, la conférence, telle qu’elle est proposée par l’ANAES, supposait un investissement minimum de 150 000 Q, incompatible avec notre budget et un délai de réalisation d’environ deux ans alors que nous ne disposions que d’une année. Après plusieurs contacts avec les responsa- bles de l’ANAES, de l’AFSSAPS, auprès d’infectiologues et après réflexion, nous avons convenu :
- qu’il ne nous était pas possible de suivre scrupu- leusement les critères de réalisation d’une conférence de consensus tels que proposés par l’ANAES ;
- que nous ne disposerions pas d’un financement suffisant ;
- que ces critères sont adaptés à des questions vastes (l’antibioprophylaxie en chirurgie réalisée par la SFAR par exemple), alors que le problème posé en chirurgie de la main était au contraire très limité ;
- mais que nous pouvions, au sein de la société et par nos
relations professionnelles, construire à moindre coût l’équivalent d’une telle conférence qui, si elle n’avait pas l’imprimatur de l’ANAES, aurait cependant une valeur scientifique (et partant médicolégale car remplis- sant un vide référentiel) suffisante pour que les chirur- giens de la main puissent s’en servir s’ils le désirent.
Nous avons donc construit cette conférence en suivant au plus près les recommandations de l’ANAES (réf. : Les confé- rences de consensus, base méthodologique pour leur réalisa- tion en France (Conférences de consensus – 1997 – réactua- lisation 1999), disponible en téléchargement sur www.anaes.fr ).
Nous avons d’abord, en novembre 2002, constitué un comité d’organisation qui était chargé de définir le sujet, de choisir les membres des différents comités et du jury et de poser les questions au jury.
4.1 Comité d’organisation
Professeur Lemerle, chirurgien de la main, consultant, expert auprès de la cour de Cassation, Président de la Société française de chirurgie de la main.
Professeur Vildé, chef de service d’infectiologie, hôpital Bichat, Paris.
Professeur Gilles Chatellier, épidémiologiste et santé pu- blique, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
Docteur Christian Dumontier, chirurgien.
4.2 Un comité de lecture
Il a été constitué en novembre 2002.
Il est chargé de rechercher toutes les données disponibles dans la littérature et de ne garder que les articles pertinents en s’aidant des critères de lecture définis par l’ANAES (Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations
- janvier 2000 –, disponible en téléchargement sur www.a- naes.fr). Ces critères, ainsi qu’un exemplaire d’une recherche Cochrane sur un sujet équivalent ont été remis à ce comité de lecture pour l’aider dans sa recherche (pour mémoire, les groupes Cochrane sont des groupes d’analyse de la littérature qui, sur un sujet donné, cherchent les références pertinentes, en font l’analyse et donnent, si cela est possible, des recom- mandations de bonnes pratiques. L’accès au site se fait sur www.cochrane.org et les références concernant le « muscu- losketal group » sont accessibles sur http://www.cochrane.org/ cochrane/revabstr/MUSKINJAbstractIndex.htm ).
Ce comité était initialement constitué de cinq chirurgiens et d’un anesthésiste, mais devant l’absence d’implication de la plupart de ces membres, un deuxième comité plus restreint a été constitué comprenant les Docteurs Tchenio et Dumon- tier, aidé par le docteur Vercoutere, tous chirurgiens de la main.
Ce comité de lecture a remis au groupe des experts une synthèse de la littérature (et une copie de tous les articles, qui n’étaient pas très nombreux, ont été joints en bibliographie). Pour faciliter leur travail, chaque expert était en charge d’un seul chapitre (exemple, la chirurgie osseuse) et de deux questions. Les experts devaient analyser la littérature et don- ner, en fonction de celle-ci, et des données validées disponi- bles une réponse aux questions si cela était possible.
4.3 Le comité d’expert
Il était constitué par :
- R. Legré : professeur des universités, chirurgien, chef de service du service de chirurgie de la main et de chirurgie plastique, hôpital de la Conception, Assistance Publi- que–Hôpitaux de Marseille, France ;
- J.F. Schuhl : chirurgien, expert national agrée par la Cour de Cassation, Rouen, France ;
- F. Moutet : chirurgien, professeur des universités, chef de service du service de chirurgie de la main et des brûlés, Grenoble, France.
Les experts devaient donner leur réponse lors d’une table- ronde réalisée lors du congrès national de la Société française de chirurgie de la main. En l’absence de certitude, des ques- tions seraient posées par les experts à l’ensemble des chirur- giens présents à la recherche d’un consensus professionnel fort.
Enfin, un jury assistait à cette table-ronde et prenait des notes pour réaliser le jour même une synthèse écrite et don- ner les réponses aux questions posées, si cela était possible. Un premier document rédigé par un des membres du jury, a été annoté et corrigé par l’ensemble des membres du jury pour aboutir au document actuel, validé par l’ensemble des membres du jury.
Le jury était constitué par :
- Dumontier (chirurgien de la main, Président du Jury), F.-J. Pansier (magistrat au TGI de Bobigny), G. Chatellier (professeur d’épidémiologie et d’informatique médicale),
- Bernard (professeur de maladies infectieuses), F. Chaise (chirurgien de la main, orthopédiste), D. Maladry (chirurgien de la main, plasticien).
Pour sensibiliser ceux d’entre nous qui ne le seraient pas au problème de l’antibioprophylaxie, une conférence inau- gurale a été donnée sur les risques individuels et collectifs de l’utilisation des antibiotiques par le Pr Drouin, anesthésiste, professeur des universités, chef de service du département d’anesthésie et réanimation, Assistance publique des hôpi- taux de Marseille, hôpital de la Timone, Marseille expert dans ces questions et ayant déjà participé aux deux conféren- ces de consensus de la SFAR.
5. Les experts : les questions posées à la salle
(Les réponses sont exprimées en pourcentage des votants, le nombre de votants est inscrit à droite de chaque tableau).
5.1 Faut-il envisager une antibioprophylaxie pour
une lésion isolée des fléchisseurs prise en charge au-delà de la 24e heure ?
5.2 Faut-il envisager une antibioprophylaxie chez
un patient porteur d’une lésion complexe des fléchisseurs (exemple : une hémisection totale antérieure du poignet) ?
5.3 Faut-il envisager une antibioprophylaxie dans la prise en charge chirurgicale d’une fracture ouverte ostéosynthésée dans les six heures suivant l’accident ?
5.4 Faut-il envisager une antibioprophylaxie dans la chirurgie réglée osseuse ou ostéoarticulaire
de la main ?
5.5 Faut-il envisager une antibioprophylaxie dans
la chirurgie de reprise de la main, comprenant un geste osseux ou ostéoarticulaire, en dehors des infections postopératoires ?
5.6 Faut-il envisager une antibioprophylaxie dans
la chirurgie réglée de la main, en dehors de geste osseux ou de la chirurgie implantatoire, chez des patients sans antécédents ?
5.7 Faut-il envisager une antibioprophylaxie dans
la chirurgie réglée de la main, en dehors de geste osseux ou de la chirurgie implantatoire, chez des patients diabétiques ?
5.8 Faut-il envisager une antibioprophylaxie dans
la chirurgie réglée de la main, de première intention, avec mise en place d’implants, chez des patients sans antécédents ?
5.9 Faut-il envisager une antibioprophylaxie dans
la chirurgie réglée de la main, de première intention, avec mise en place d’implants, chez des patients fragiles ?
5.10. Faut-il envisager une antibioprophylaxie lors
de gestes chirurgicaux de première intention sur des zones dites à risque (pli IPP, repli unguéal, plis palmaires…) chez des patients sans antécédents ?
5.11. Faut-il envisager une antibioprophylaxie lors
de gestes chirurgicaux de première intention sur des zones dites à risque (pli IPP, repli unguéal, plis palmaires…) chez des patients avec antécédents ?
6. Les conclusions du jury
Le jury avait à répondre à plusieurs questions posées par le comité d’organisation. Pour cela, il a pris en compte l’avis des experts lorsque existent des certitudes scientifiques et l’avis de la salle à laquelle plusieurs questions ont été posées à la recherche d’un consensus professionnel quand aucune
certitude scientifique ne se dégageait. Le jury a noté qu’aucune étude Cochrane n’était disponible sur l’antibio- prophylaxie en chirurgie de la main.
Les recommandations suivantes formulées par le jury s’appliquent pour tous les patients à l’exception :
- des patients porteurs d’une valvulopathie. Chez ces pa- tients, une conférence de consensus de la Société des infectiologues de langue française recommande une an- tibioprophylaxie même si le fait d’en donner ne semble pas écarter complètement le risque infectieux ;
- des patients diabétiques insulinodépendants pour les- quels n’existent aucune certitude, mais chez qui il est habituel de prescrire une antibioprophylaxie. Les pa- tients porteurs d’un diabète équilibré non insulinodé- pendants ne justifient pas d’être différenciés de la popu- lation générale. Il existe chez ces patients un risque infectieux plus important, mais la fréquence de ce ris- que, au vu de la littérature, ne semble pas diminué par une antibioprophylaxie. Ce groupe ne peut donc être différencié, mais il doit être surveillé plus attentivement.
- les patients immunodéprimés (polyarthrite rhumatoïde et tous les patients sous corticoïdes, patients infectés par le VIH) ne doivent pas non plus être différenciés de la population générale. Le risque infectieux est, chez eux, plus important, mais il ne semble pas au vu de la littéra- ture que l’antibioprophylaxie diminue ce risque. Compte tenu de la faible incidence des infections posto- pératoires en chirurgie de la main, cette population n’a pas à être individualisée.
6.1.Place de l’antibioprophylaxie lors de la prise en charge de plaies dites simples de la main ?
Sont définies comme des plaies simples toutes les lésions entraînant une effraction cutanée de la main ou des doigts, mais ne s’accompagnant pas de lésions osseuses ou articulai- res, ni d’ouverture de la gaine des fléchisseurs.
L’analyse de la littérature rapportée par les experts montre qu’il n’y a aucune indication à une antibioprophylaxie, quel que soit le délai avant la prise en charge s’il ne dépasse pas 48 heures, et quel que soit le terrain (diabétique, immunodé- ficient …). Il n’est pas justifié d’arrêter une antibiothérapie qui aurait été instituée avant le geste chirurgical (pathologie infectieuse pulmonaire ou ORL par exemple).
L’analyse de la littérature montre que cette attitude est justifiée si elle s’accompagne d’une prise en charge adaptée : lavage abondant de la plaie, parage chirurgical de qualité.
6.2. Place de l’antibioprophylaxie lors de la prise en charge de plaies complexes de la main ?
Une différence existe dans la littérature entre les plaies domestiques et industrielles et les plaies d’origine agricole
dont les germes retrouvés dans les plaies sont différents. Cette différence n’est pas justifiée par la littérature quant à la valeur des taux d’infection postopératoire. Il n’y a pas, dans la littérature, d’éléments montrant l’avantage d’une antibio- thérapie dans les plaies délabrantes, notamment celles obser- vées dans les accidents en milieu agricole.
Par ailleurs, il est démontré que les antibiotiques ne diffu- sent pas dans les tissus nécrosés.
On retrouve dans ces cas de figure l’importance de la prise en charge adaptée avec lavage, brossage et détersion mécani- que des souillures, et parage chirurgical de qualité. L’antibio- prophylaxie ne semble apporter aucun avantage dans la pré- vention des infections postopératoires.
Il n’y a pas d’éléments pour dire qu’un long délai avant la prise en charge chirurgicale justifie de modifier cette attitude mais la littérature est pauvre en ce domaine et aucune recom- mandation validée ne peut être proposée.
La durée opératoire est un des facteurs les plus importants du risque infectieux et la limite nette est à plus de deux heures de chirurgie. Bien qu’il n’existe aucun argument dans la littérature sur l’avantage de l’antibioprophylaxie dans ce type de lésions complexes, une durée opératoire de plus de deux heures peut justifier une antibioprophylaxie, mais le jury ne peut émettre aucune recommandation faute de données dis- ponibles.
6.3. Place de l’antibioprophylaxielors de la prise en charge des fractures ?
La littérature montre qu’il n’y a pas d’indications à une antibioprophylaxie dans les fractures fermées de la main traitées par ostéosynthèse, en contradiction avec l’avis des chirurgiens de la main présents dans la salle.
Dans les fractures ouvertes, le risque infectieux n’est pas connu avec précision, mais il semble largement inférieur à 1 %. Le bénéfice éventuel d’une antibioprophylaxie sera donc largement balancé par les risques individuels (et collec- tifs) de cette même antibioprophylaxie. Il n’y a donc pas d’indication à une antibioprophylaxie dans les fractures ouvertes même traitées par ostéosynthèse sous réserve d’un parage des parties molles et de la médullaire. La chirurgie de la main étant différente dans son évolution, l’extrapolation des études sur les fractures diaphysaires ouvertes de jambe aux fractures diaphysaires de la main ne peut raisonnable- ment s’appliquer ici.
La durée de l’acte opératoire étant un des facteurs les plus importants pour le risque d’infection postopératoire, une intervention de plus de deux heures sur un segment osseux ou ostéoarticulaire peut justifier une antibioprophylaxie. En pra- tique, il ne s’agit pas de la durée totale de l’intervention, mais du temps passé sur un segment (en pratique de chirurgie de la main, une intervention de plus de 2 heures sur un seul doigt, peut justifier une antibioprophylaxie). Ainsi une réimplanta- tion digitale qui durerait plus de deux heures justifierait d’une antibioprophylaxie, même si le temps osseux est court. Une réimplantation pluridigitale relève également d’une pré– vention.
6.4. Place de l’antibioprophylaxie lors d’une intervention réglée comportant un geste osseux ou ostéoarticulaire ?
La littérature ne retrouve pas d’éléments en faveur d’une antibioprophylaxie. Les chirurgiens de la main se sont expri- més à 64 % (128 votants) contre le principe de cette antibio- prophylaxie. Les calculs d’infection postopératoire montrent que le risque est faible et que le bénéfice éventuel d’une telle antibioprophylaxie serait largement contre-balancé par les risques individuels d’une telle antibioprophylaxie (sans par- ler des risques collectifs).
Il n’y a pas d’indication à une antibioprophylaxie lors de la réalisation en chirurgie réglée de gestes osseux (ostétomies et autres) ou ostéoarticulaires (arthrodèses ou autres).
6.5. Place de l’antibioprophylaxie lors d’une intervention réglée de reprise chirurgicale comportant un geste osseux ?
La littérature ne donne aucune information sur l’intérêt préventif de l’antibioprophylaxie. L’avis de la Société fran- çaise ne donne aucune information complémentaire puisque 56 % des 129 votants sont en faveur d’une antibioprophy- laxie ce qui, compte tenu des effectifs, correspond à une opinion partagée.
La revue de consensus de la SFAR considère qu’il n’y a pas lieu de modifier une éventuelle antibioprophylaxie don- née initialement lors d’une reprise chirurgicale tardive (à plus de trois semaines).
Si on raisonne « logiquement », l’antibioprophylaxie n’a pas d’indications si le patient n’est pas déjà « contaminé », et à l’inverse si on craint une contamination antérieure, il est plus logique de ne pas donner d’antibiotiques avant d’avoir fait des prélèvements peropératoires. Il faut, par ailleurs, garder à l’esprit que les prélèvements peropératoires systé- matiques chez des patients opérés pour la première fois n’ont pas d’utilité pour prédire une éventuelle infection postopéra- toire. Il faut, pour considérer un prélèvement positif justifiant une antibiothérapie, retrouver la même bactérie sur plusieurs prélèvements (au moins deux). Une antibiothérapie pourra être demandée après ces prélèvements, modifiée ou arrêtée en fonction de la culture microbiologique.
La durée de l’acte opératoire étant un des facteurs les plus importants pour le risque d’infection postopératoire, une intervention de plus de deux heures sur un segment osseux ou ostéoarticulaire peut justifier une antibioprophylaxie. En pra- tique, il ne s’agit pas de la durée totale de l’intervention, mais du temps passé sur un segment (en pratique de chirurgie de la main, une intervention de plus de 2 heures sur un seul doigt, peut justifier une antibioprophylaxie).
6.6. main, une intervention de plus de 2 heures sur un seul doigt, peut justifier une antibioprophylaxie).
L’analyse de la littérature et l’avis des experts permettent de dire qu’il n’y a pas d’indications à une antibioprophylaxie en chirurgie réglée de la main ne comportant pas de gestes osseux ou articulaires.
6.7. Place de l’antibioprophylaxie lors d’une chirurgie réglée avec pose d’implants ?
Aucune donnée formelle n’existe dans la littérature. Par extrapolation, l’antibioprophylaxie est considérée comme indispensable dans la chirurgie des prothèses du poignet (prothèse totale radiocarpienne). Même si cette attitude est scientifiquement discutable, compte tenu du faible nombre de prothèses de poignet posées chaque année, l’antibiopro- phylaxie peut être proposée sans risques (individuels ou collectifs).
Pour les implants des doigts, il n’existe pas non plus de données fiables. Le taux d’infection rapportée dans la littéra- ture varie de 1 à 10. Aucune recommandation ne peut donc être proposée. L’assemblée est plutôt favorable à une telle antibioprophylaxie. L’avis du jury, mais ce n’est pas une recommandation, est que cette antibioprophylaxie n’est pro- bablement pas nécessaire compte tenu du faible risque septi- que, du caractère réglé de la chirurgie, de la petite taille des implants et du caractère habituellement rapide de ce type de chirurgie. L’absence d’antibioprophylaxie ne peut, chez un patient porteur d’une infection postopératoire, en l’état ac- tuel des connaissances, être reprochée au chirurgien.
6.7. Le choix des antibiotiques
Les germes rencontrés en chirurgie de la main sont, dans une large majorité de cas, ceux rencontrés en chirurgie ortho- pédique ou en chirurgie plastique. Les recommandations proposées dans les revues générales de la littérature en chi- rurgie {Hoffman, 1998 #20} étant proches de celles de la SFAR, le jury a choisi de ne pas modifier les recommanda- tions de la SFAR (http://www.sfar.org/antibiofr.html).
Cette attitude permet de faciliter les prescriptions pour le chirurgien qui ne fait pas que de la chirurgie de la main, de limiter les risques d’erreur dans les prescriptions, et de limi- ter le nombre de produits disponibles au sein d’un établisse- ment pour des raisons d’organisation et de coût.
Le jury a choisi de rappeler les recommandations de la SFAR sur l’utilisation de l’antibioprophylaxie. Celle-ci doit
« être administrée (généralement par voie intraveineuse),
doit toujours précéder l’acte opératoire (dans un délai maxi- mum d’une heure à 1 heure 30 et avant la mise en place du garrot), si possible lors de l’induction de l’anesthésie et durer un temps bref, période opératoire le plus souvent, parfois 24 heures et exceptionnellement 48 heures. Elle doit tendre vers un raccourcissement si des études l’autorisent. La pré- sence d’un drainage du foyer opératoire n’autorise pas à transgresser ces recommandations. Il n’y a pas de raison de prescrire des réinjections lors de l’ablation de drains, sondes ou cathéters ».
Les antibiotiques proposés sont une céphalosporine de première génération (céfazoline, céfamandole, céfuroxime) et, en cas d’allergie aux bêtalactamines ou de colonisation suspectée ou prouvée par du staphylocoque méthicilline- résistant, de la vancomycine. Le jury rappelle également que
« Les protocoles sélectionnés doivent être écrits, validés par le CLIN et le comité du médicament de l’établissement. Ces protocoles doivent impérativement être affıchés en salle d’intervention ».